LES OISEAUX DE PASSAGE


Rém                                                               Do
Ô vie heureuse des bourgeois, Qu’avril bourgeonne
                             Sib                              La
Ou que décembre gèle, Ils sont fiers et contents
                        Rém                                 Do
Ce pigeon est aimé, Trois jours par sa pigeonne
                     Sib         La                      Rém
ça lui suffit il sait, Que l’amour n’a qu’un temps

Ce dindon a toujours, Béni sa destinée
Et quand vient le moment, De mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : « C’est là que je suis née
Je meurs près de ma mère, Et j’ai fait mon devoir »

Elle a fait son devoir, C’est-à-dire que Onques
Elle n’eut de souhait, Impossible elle n’eut
Aucun rêve de lune, Aucun désir de jonque
L’emportant sans rameurs, Sur un fleuve inconnu

Et tous sont ainsi faits, Vivre la même vie
Toujours pour ces gens là, Cela n’est point hideux
Ce canard n’a qu’un bec, Et n’eut jamais envie
Ou de n’en plus avoir, Ou bien d’en avoir deux

Ils n’ont aucun besoin, De baiser sur les lèvres
Et loin des songes vains, Loin des soucis cuisants
Possèdent pour tout cœur, Un viscère sans fièvre
Un coucou régulier, Et garanti dix ans

Ô les gens bien heureux, Tout à coup dans l’espace
Si haut qu’ils semblent aller, Lentement en grand vol
En forme de triangle, Arrivent planent, et passent
Où vont ils ? … qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol

Regardez les passer, eux, Ce sont les sauvages
Ils vont où leur désir, Le veut par dessus monts
Et bois, et mers, et vents, Et loin des esclavages
L’air qu’ils boivent, Ferait éclater vos poumons

Regardez les avant, D’atteindre sa chimère
Plus d’un l’aile rompue, Et du sang plein les yeux
Mourra. Ces pauvres gens, Ont aussi femme et mère
Et savent les aimer, Aussi bien que vous, mieux

Pour choyer cette femme, Et nourrir cette mère
Ils pouvaient devenir, Volailles comme vous
Mais ils sont avant tout, Des fils de la chimère
Des assoiffés d’azur, Des poètes des fous

Regardez les vieux coqs, Jeune Oie édifiante
Rien de vous ne pourra, monter aussi haut qu’eux
Et le peu qui viendra, D’eux à vous c’est leur fiente,
Les bourgeois sont troublés, De voir passer les gueux

Brassens: Philistins

Les philistins

Philistins, épiciers
Tandis que vous caressiez
Vos femmes

En songeant, aux petits
Que vos grossiers appétits
Engendrent

Vous pensiez, “Ils seront
Menton rasé, ventre rond
Notaires”

Mais pour bien vous punir
Un jour vous voyez venir
Sur terre

Des enfants non voulus
Qui deviennent chevelus
Poètes

Vous pensiez, “Ils seront
Menton rasé, ventre rond
Notaires”

Mais pour bien vous punir
Un jour vous voyez venir
Sur terre

Des enfants non voulus
Qui deviennent chevelus
Poètes

Le grand café (Charles Trenet & Georges Brassens)

Le Grand Café

Au Grand Café vous êtes entré par hasard
Tout ébloui par les lumières du boul’vard
Bien installé devant la grande table
Vous avez bu, quelle soif indomptable
De beaux visages fardés vous disaient bonsoir
Et la caissière se levait pour mieux vous voir
Vous étiez beau vous étiez bien coiffé
Vous avez fait beaucoup d’effet
Beaucoup d’effet au Grand Café.

Comme on croyait que vous étiez voyageur
Vous avez dit des histoires d’un ton blagueur
Bien installé devant la grande table
On écoutait cet homme intarissable
Tous les garçons jonglaient avec Paris-Soir
Et la caissière pleurait au fond d’son tiroir
Elle vous aimait, elle les aurait griffés
Tous ces gueulards, ces assoiffés
Ces assoiffés du Grand Café.

Par terre on avait mis de la sciure de bois
Pour que les cracheurs crachassent comme il se doit
Bien installé devant la grande table
Vous invitiez des Ducs, des Connétables
Quand on vous présenta, soudain, l’addition
Vous avez déclaré : Moi, j’ai pas un rond.
Cette phrase-là produit un gros effet
On confisqua tous vos effets
Vous étiez fait au Grand Café.

Depuis ce jour, depuis bientôt soixante ans
C’est vous l’chasseur, l’commis de restaurant
Vous essuyez toujours la grande table
C’est pour payer cette soirée lamentable
Ah, vous eussiez mieux fait de rester ailleurs
Que d’entrer dans ce café plein d’manilleurs
Vous étiez beau, le temps vous a défait
Les mites commencent à vous bouffer
Au Grand Café, au Grand Café.

Le Cocu

Une belle chanson de Georges Brassens, pleine d’esprit et riche en allusions littéraires, comme d’habitude d’ailleurs

Comme elle n’aime pas beaucoup la solitude
Cependant que je pêche et que je m’ennoblis
Ma femme sacrifie à sa vieille habitude
De faire, à tout venant, les honneurs de mon lit

Eh ! oui, je suis cocu, j’ai du cerf sur la tête
On fait force de trous dans ma lune de miel
Ma bien-aimée ne m’invite plus à la fête
Quand ell’ va faire un tour jusqu’au septième ciel

Au péril de mon cœur, la malheureuse écorne
Le pacte conjugal et me le déprécie
Que je ne sache plus où donner de la corne
Semble bien être le cadet de ses soucis

Les galants de tout poil viennent boire en mon verre
Je suis la providence des écornifleurs
On cueille dans mon dos la tendre primevère
Qui tenait le dessus de mon panier de fleurs

En revenant fourbu de la pêche à la ligne
Je les surprends tout nus dans leurs débordements
Conseillez-leur le port de la feuille de vigne
Ils s’y refuseront avec entêtement

Souiller mon lit nuptial, est-c’ que ça les empêche
De garder les dehors de la civilité ?
Qu’on me demande au moins si j’ai fait bonne pêche
Qu’on daigne s’enquérir enfin de ma santé

De grâce, un minimum d’attentions délicates
Pour ce pauvre mari qu’on couvre de safran
Le cocu, d’ordinaire, on le choie, on le gâte
On est en fin de compte un peu de ses parents

A l’heure du repas, mes rivaux détestables
Ont encor ce toupet de lorgner ma portion
Ça leur ferait pas peur de s’asseoir à ma table
Cocu, tant qu’on voudra, mais pas Amphitryon

Partager sa moitié, est-c’ que cela comporte
Que l’on partage aussi la chère et la boisson ?
Je suis presque obligé de les mettre à la porte
Et bien content s’ils n’emportent pas mes poissons

Bien content qu’en partant ces mufles ne s’égarent
Pas à mettre le comble à leur ignominie
En sifflotant ” Il est cocu, le chef de gare… ”
Parc’ que, le chef de gar’, c’est mon meilleur ami